- FONCTION (NOTION DE)
- FONCTION (NOTION DE)FONCTION NOTION DELe terme de fonction a été introduit par Leibniz (1692) dans un contexte géométrique: il s’agit pour lui de portions de lignes droites qui dépendent d’un point variable sur une courbe, comme la tangente ou la normale. Jean Bernoulli, en 1698, a repris ce terme pour désigner une quantité X «composée d’une manière quelconque de x et de quantités données», où x désigne en l’occurrence l’ordonnée du point variable sur la courbe; plus tard (1718), il proposera de noter x une fonction d’une quantité variable x (pas forcément rattachée à un contexte géométrique). Le concept de fonction ainsi dégagé a servi de base à Euler pour son exposé de l’analyse mathématique (1748) d’un point de vue formel et non plus géométrique. Euler définit une variable comme une quantité qui admet toutes les valeurs possibles, par opposition à une constante, dont la valeur est fixée, et il représente géométriquement une variable par un axe; ensuite, il définit une fonction d’une variable comme «une expression analytique composée d’une manière quelconque de cette quantité variable et de nombres ou de quantités constants». Bien entendu, il ne précise pas ce qu’il entend par «expression analytique», ni la façon dont elle doit être «composée»: la suite du livre montre que c’est au moyen des opérations algébriques élémentaires éventuellement itérées indéfiniment (séries, produits infinis) et des opérations transcendantes comme log, exp, sin, cos; suivant la manière dont elles sont composées, Euler classe les fonctions en algébriques et transcendantes, les fonctions algébriques étant elles-mêmes subdivisées en rationnelles et irrationnelles.Les fonctions sont représentées graphiquement par des courbes dans le plan, où l’ordonnée est la valeur de la fonction lorsque l’abscisse est la valeur de la variable; inversement, Euler se demande si une courbe donnée correspond à une fonction, et il est amené à distinguer les courbes «continues», graphes de fonctions définies par des expressions analytiques, et les courbes «discontinues» (ou «mixtes» ou «irrégulières»), réunion de morceaux qui correspondent à diverses fonctions. Par la suite, Euler sera amené à étendre le concept de fonction, en remarquant que les «fonctions arbitraires» intervenant dans la solution de l’équation des cordes vibrantes donnée par d’Alembert (1747) n’étaient pas nécessairement définies par des expressions analytiques, mais plutôt par un graphe obtenu par le «tracé libre de la main»; c’est l’origine physique du problème qui conduisit Euler à cette définition très générale des fonctions. Daniel Bernoulli (1753) a donné une autre solution de l’équation des cordes vibrantes au moyen de séries trigonométriques, et il pensait que sa solution était aussi générale que celle de d’Alembert-Euler, ce qu’Euler a vivement contesté. On se trouvait donc en présence de deux notions de fonction: la conception formelle d’expression analytique, et la conception «ensembliste» plus générale de correspondance arbitraire; le problème du rapport entre les deux notions se trouvait posé et sa solution devait attendre la fin du XIXe siècle.Tandis que Lagrange (Théorie des fonctions analytiques , 1797), restait attaché à la définition des fonctions par des expressions analytiques (sa théorie est fondée sur l’utilisation des développements en séries entières), Fourier observa dès 1807 que la formule intégrale qui donne des coefficients du développement d’une fonction en série trigonométrique conservait un sens pour une fonction arbitraire du type de celles introduites par Euler (l’intégrale étant interprétée comme une aire dont l’existence est admise comme une évidence intuitive); il en déduisit, sans se poser de problème de convergence, qu’une fonction arbitraire pouvait toujours être représentée par une série trigonométrique, mais la notion de fonction arbitraire était encore extrêmement vague pour lui. Les travaux de Bolzano (1817) et de Cauchy (1821) devaient apporter un peu de clarté sur cette notion, en introduisant la définition des fonctions continues (au sens moderne du terme, qui ne se réfère pas du tout aux «courbes continues» d’Euler); Cauchy développa une théorie de l’intégration des fonctions continues dégagée de l’intuition géométrique, et Dirichlet (1829) parvint à démontrer qu’une fonction continue monotone par par morceaux était effectivement représentée par sa série de Fourier. Les réflexions de Dirichlet pour l’extension à des fonctions plus générales le conduisirent à une conception des fonctions arbitraires beaucoup plus vaste que celle de ses prédécesseurs (pour qui il s’agissait essentiellement de fonctions continues par morceaux): comme exemple de fonction discontinue, il donne la fonction f telle que f (x ) vaille 1 pour x rationnel et 0 pour x irrationnel (1837); il pose alors le problème de l’intégration des fonctions arbitraires suffisamment générales (par exemple avec un ensemble rare de discontinuités): ce devait être l’objet de travaux de Riemann (pour les fonctions dont l’ensemble de discontinuités est de mesure nulle) et de Lebesgue (pour une classe beaucoup plus large, stable par des passages à la limite simple).P. Du Bois-Reymond montra en 1873 que, contrairement à la conviction des mathématiciens, la série de Fourier d’une fonction continue ne converge pas nécessairement vers cette fonction. Mais Weierstrass parvint cependant à raccorder les deux notions de fonction (expression analytique et fonction arbitraire) en montrant qu’une fonction continue est toujours la somme d’une série de polynômes convergeant uniformément sur tout intervalle fermé et borné (1885). Le problème de la représentation analytique des fonctions discontinues allait être abordé en 1898 par Baire, qui caractérise les fonctions discontinues limites simples des fonctions continues (fonctions de classe 1), puis donne une classification des fonctions selon laquelle les fonctions de classe 見 sont des limites simples de fonctions des classes 見 avec 見 麗 見 ( 見 et 見 peuvent être des ordinaux transfinis); Lebesgue (1905) montra l’existence de fonctions de chacune des classes de Baire et aussi de fonctions échappant à la classification de Baire: de telles fonctions n’admettent pas de représentation analytique.À côté des fonctions d’une variable réelle, que nous avons considérées jusqu’à présent, les mathématiciens ont aussi étudié les fonctions de plusieurs variables, dont le domaine de définition est une partie d’un espace Rn . Par ailleurs, le calcul des variations conduisit à la notion de fonction dont la variable est une courbe (théorie des fonctions de lignes développée par V. Volterra); M. Fréchet (1904) et E. H. Moore (1905) étendirent ces conceptions en prenant la variable dans un ensemble arbitraire, et Fréchet (1909) eut même l’idée de considérer des fonctions non plus numériques, mais prenant leurs valeurs dans un ensemble quelconque: c’est la notion générale de fonction ou application utilisée de nos jours.
Encyclopédie Universelle. 2012.